Les murs briquetés sont tapissés de feuilles volantes couvertes de mots, de reproductions de toiles de grands maîtres et de photos en noir et blanc dont s’imprégner. Au milieu de ce kaléidoscope d’images et de rimes trônent un piano, un accordéon et d’autres instruments de musique. Bienvenue dans l’atelier de Gaële, lieu de toutes les permissions où l’auteure-compositrice se dépose et retrouve le chemin jusqu’à elle-même en bricolant des petits talismans à porter prêt du cœur. Appelons-les trivialement des chansons.

Fille des Alpes françaises, québécoise d’adoption, détentrice d’une licence en musique classique de Grenoble et d’un baccalauréat en chant jazz et populaire de l’UQAM, Gaële se signale d’abord en participant à différents concours (dont le Festival en chanson de Petite Vallée et le Festival international de la chanson de Granby) lui permettant de donner corps à sa propre voix chansonnière, mélange de théâtralité, d’intensité et de gentille malice. Femme du monde solitaire, volubile qui sous-pèse chacun de ses mots, rêveuse avouant chérir l’imperfection, contemplative hyperactive; l’artiste carbure aux paradoxes, trait de sa personnalité sur lequel est assise la force de ses chansons. Son premier album, Cockpit (2007), rappelle à notre mémoire une importante vérité: et si gravité (Les croix blanches) et légèreté (Cockpit) n’étaient, en fait, que les deux faces d’une même médaille?

De nombreuses récompenses louent cette manière forte d’encapsuler en chanson la complexité de l’expérience humaine, dont le Prix Guy Bel de l’auteure-compositeur féminin au Festival Pully-Lavaux à l’heure du Québec, le Prix Cirque du Soleil de la Bourse Rideau 2008 et le Prix André «Dédé» Fortin de la SPACQ (la chanteuse deviendra incidemment «Passeuses de puck» pour la Fondation Dédé Fortin, contribuant à la prévention du suicide).
Avec son deuxième disque, Diamant de papier (2010), Gaële revendique son appartenance au Québec (L’Accent d’icitte), tout en sondant ce que remue en elle le déracinement (Ville intérieure). Sa fragile interprétation de La folie en quatre (Daniel Bélanger) et son hymne à la beauté de toutes les femmes par-delà leurs petits défauts, Femme en ic, jalonne ce foisonnant album de gang où les mots claquent, où les mots bercent.
Parolière, compositrice et musicienne caméléon, Gaële est désignée indispensable collaboratrice par une foule d’éminentes figures de la chanson québécoise, celle vers qui l’on se tourne lorsque le besoin d’un texte, d’une musique ou d’un conseil avisé se fait sentir. Elle signe et co-signe les textes des deux premiers albums de Marie-Pierre Arthur, en plus de prêter sa plume à Monica Freire, Jipé Dalpé, Line Renaud, David Usher, Damien Robitaille, Cusson/Mervil/Montcalm et Alexandre Désilets. Ses chansons Sarah et Cockpit sont revampées en 2010 pour l’album Toutes les filles, point culminant d’une tournée réunissant tout ce que la jeune chanson québécoise recèle de voix féminines singulières. Sa participation à deux titres de l’album J’ai un bouton sur le bout de la langue, en hommage à La Bolduc, cimente son lien d’appartenance à la culture québécoise.

La chanteuse émerge de ces expériences d’oubli de soi avec un désir renforcé d’aménager comme bon lui semble son atelier et ses chansons. Microscope, EP préludant à la parution d’un troisième album (Télescope, février 2013), permet d’apprivoiser sur quatre titres la nouvelle économie de mots que l’auteure-compositrice chérit. Des chansons fortement ancrées dans le corps grâce aux arrangement viscéraux et percussifs édifiés en compagnie du coréalisateur Pierre Fortin (Mara Tremblay, Galaxie, Les Dales Hawerchuk) ainsi qu’avec la collaboration de musiciens/invités d’exception tels Alex McMahon, Jean-François Lemieux, Olivier Langevin, Antoine Gratton, Yann Perreau, Jipé Dalpé et David Goudreault.

Dès le début de l’année 2019, Gaële arrivait avec son projet créatif Partir à point qui avait pour but de réinterpréter de sa voix de femme immigrante des chansons d’artistes québécois masculins l’ayant inspirée depuis son arrivée sur ce territoire choisi. L’idée s’est concrétisée par une trilogie de EP dont les deux premiers volumes sont sortis en février et en mai derniers. Gaële, ayant à cœur les thèmes de la rencontre et du dialogue, a fait appel à autant d’arrangeurs qu’il y avait de chansons. Pour un retour à ses sources musicales, elle les a mis au défi : arranger les chansons avec le piano et les claviers comme seuls instruments. Chaque EP contient donc quatre chansons, chacune réarrangée avec un pianiste-claviériste différent. Et pour clore la trilogie en beauté et en audace, Gaële a présenté Partir à point volume 3 le 30 octobre dernier au Livart.

En plus des réinterprétations et pour ouvrir le dialogue homme-femme, Gaële a invité l’artiste-peintre-collagiste Adèle Blais à mettre les chansons d’hommes du deuxième EP en images en faisant des portraits de femmes inspirantes de l’Histoire. Là où les chansons parlent aux yeux. La pièce 100 000 raisons d’Harmonium a été associée à Ella Fitzgerald, célèbre chanteuse de jazz. La chanson Ou danser de Jim Corcoran a été unie à Mary Pickford, actrice et productrice ayant marqué le cinéma muet. Le lac multicolore de Plume Latraverse a été associée à Marie Kingsley, grande exploratrice anglaise. Tandis que Où as-tu mis ton cœur de Richard Desjardins est joint à Nenyehi (Nancy Ward), dirigeante politique des Cherokee.

Afin de s’approprier complètement les chansons dans son corps et de retrouver en profondeur son métier chéri d’interprète, Gaële a invité la chorégraphe Catherine Archambault à travailler en mouvement et à créer une chorégraphie sur mesure pour chaque chanson du troisième EP. Ce dernier volet s’est fait une fois encore en collaboration avec des artistes multidisciplinaires choisis comme la comédienne-chanteuse Kathleen Fortin et les artistes du cirque Valérie Doucet et William Underwood. Le thème de cet EP étant de retrouver la petite lumière dans le noir, c’est tout naturellement que le collectif Miss Néon a rajouté son talent de peinture corporelle UV pour faire briller les interprètes.